Dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, les employeurs publics – à l’instar des employeurs privés – ont désormais la possibilité temporaire d’imposer à leurs agents des jours de congés afin d’anticiper la sortie de crise et garantir la continuité des services publics. Les modalités de calcul des jours pouvant ainsi être imposés à tout agent public, durant cette période exceptionnelle, diffèrent selon la situation de l’agent durant la période de confinement (autorisation d’absence, télétravail, activité normale sur site, congés de maladie, congés annuels ou RTT posés).
Dans le prolongement de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, le ministre de l’action et des comptes publics a présenté, lors du Conseil des ministres du 15 avril 2020, une ordonnance relative à la prise de jours de réduction du temps de travail ou de congés dans la fonction publique de l’Etat et la fonction publique territoriale au titre de la période d’urgence sanitaire.
1. Présentation du texte
L’ordonnance, publiée au Journal officiel le 16 avril 2020, a été prise sur le fondement de l’article 11 de la loi du 23 mars 2020, qui autorise le Gouvernement, dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, à prendre par ordonnances toute mesure relevant du domaine de la loi, dans un délai de trois mois à compter de la publication de la loi.
Elle a pour objet, selon le rapport remis au Président de la République, « une fois la crise passée […] d’anticiper dès à présent cette sortie pour garantir la continuité des services publics en évitant toute désorganisation ».
A ce titre, elle comporte plusieurs dispositions destinées à organiser, durant la période de confinement, la gestion des jours de réduction du temps de travail (RTT) et de congés annuels des agents de l’Etat actuellement placés en autorisation spéciale d’absence et, le cas échéant, de ceux exerçant leurs fonctions en télétravail.
Ainsi, à l’instar de ce qui est prévu dans le secteur privé par l’ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020 portant mesures d’urgence en matière de congés payés, de durée du travail et de jours de repos, la présente ordonnance impose que des jours de RTT et des jours de congés ordinaires soient imposés aux agents de l’Etat.
Rappelons, en effet, que pour le secteur privé, depuis l’ordonnance précitée du 25 mars dernier, un employeur peut :
- imposer à ses salariés la prise de congés payés ou les déplacer, sans avoir à respecter le délai normal de préavis d’un mois ;
- si l’accord d’entreprise ou de branche le prévoit, fractionner sans accord des salariés les congés payés ou suspendre le droit à un congé simultané pour les couples travaillant dans l’entreprise ;
- lorsque l’intérêt de l’entreprise le justifie, imposer ou déplacer, dans des conditions exceptionnelles, les jours de RTT, jours de repos liés au forfait jours et jours placés sur un compte épargne temps.
Le dispositif introduit dans la fonction publique par l’ordonnance du 15 avril 2020 permet, de la même manière, aux employeurs publics de contourner, de manière exceptionnelle et temporaire, les règles relatives à la prise de jours de congés annuels et à l’attribution de jours de repos compensateurs octroyés dans le cadre de l’aménagement et de la réduction du temps de travail, en imposant à leurs agents – quelle que soit leur qualité – des jours de congés par anticipation de la sortie de crise.
2. Présentation du dispositif
Pour rappel, en effet, tout agent de la fonction publique en activité ou en détachement a droit, pour une année de service accompli, du 1er janvier au 31 décembre, à un congé annuel rémunéré d’une durée égale à cinq fois le nombre de jours travaillés par semaine, qu’il soit fonctionnaire (stagiaire ou titulaire) ou contractuel et qu’il travaille à temps plein, à temps partiel ou sur un poste à temps non complet ou incomplet.
Les congés sont normalement accordés par le chef de service en fonction des nécessités du service et ne peuvent pas être reportés d’une année sur l’autre, sauf autorisation exceptionnelle de l’administration : le choix de l’agent en matière de congés prime et l’administration ne peut placer d’office un agent en congé annuel, y compris pour des motifs tirés de l’intérêt du service (cf. not. CAA Versailles, 13 mars 2014, n°13VE00926).
Quant aux jours de RTT, ils sont attribués en cas de dépassement de la durée horaire légale de travail, selon des conditions d’utilisation et de décompte fixées par l’administration (cf. circulaire du 31 mars 2017 relative à l’application des règles en matière de temps de travail dans les trois versants de la fonction publique).
L’ordonnance du 15 avril 2018 vient bouleverser ce cadre juridique, en permettant à l’employeur public d’imposer ou de modifier unilatéralement les dates de congés annuels et les jours de réduction du temps de travail prévus par le statut général de la fonction publique.
2.1 Champ d’application
Le dispositif concerne les fonctionnaires et les agents contractuels de droit public de la fonction publique de l’Etat, les personnels ouvriers de l’Etat ainsi que les magistrats de l’ordre judiciaire.
Les enseignants, qui répondent à une organisation horaire spécifique, ne sont pas concernés par ce régime dérogatoire (cf. article 6).
L’ordonnance prévoit, également, que le dispositif pourrait être étendu aux agents de la fonction publique territoriale en laissant la possibilité aux collectivités territoriales de mettre en œuvre, si elles le souhaitent, le régime dérogatoire applicable aux agents de l’Etat (cf. article 7), étant précisé que si l’autorité territoriale fait usage de cette faculté, les fonctionnaires et agents contractuels de droit public occupant des emplois permanents à temps non complet seront alors assimilés à des agents publics à temps partiel.
2.2 Modalités d’application
L’ordonnance distingue selon que les agents sont en autorisation spéciale d’absence ou en télétravail, du fait du confinement :
Pour les agents placés en autorisation d’absence, l’ordonnance impose (cf. article 1er) :
- jusqu’à dix jours de congés décomptés comme suit de manière rétroactive, cinq jours de RTT entre le 16 mars 2020 et le 16 avril 2020 et cinq autres jours de RTT ou de congés annuels entre le 17 avril 2020 et la fin de l’état d’urgence sanitaire ou, si elle est antérieure, la date de reprise d’activité, étant précisé que les jours de RTT peuvent être pris parmi les jours épargnés sur le compte épargne temps de l’agent (cf. article 3) ;
- pour les agents ne disposant pas de jours de RTT ou d’un nombre suffisant, ces jours sont décomptés sur leurs congés annuels, dans la limite de six jours.
Pour les agents à temps partiel, le nombre de jours de RTT et de congés imposés est proratisé.
Pour les agents placés en télétravail, l’ordonnance ouvre également la possibilité d’imposer aux agents cinq jours de RTT ou de congés annuels entre le 17 avril 2020 et la fin de l’état d’urgence sanitaire ou, si elle est antérieure, la date de reprise d’activité dans des conditions normales (cf. article 2), étant précisé là aussi que les jours de RTT peuvent être pris parmi les jours épargnés sur le compte épargne temps de l’agent.
Mais, contrairement aux agents placés en autorisation d’absence, il s’agit ici d’une simple faculté laissée aux chefs de service, justifiée par les nécessités de service.
L’ordonnance prévoit, enfin :
- une proratisation des jours de congés imposés à raison du nombre de RTT et de congés annuels déjà accomplis en autorisation spéciale d’absence, en activité normale sur site, en télétravail ou assimilé, entre le 16 mars 2020 et la fin de l’état d’urgence sanitaire ou la reprise d’activité (cf. article 4 I) ;
- une réduction des jours de congés imposés à raison du nombre de RTT et de congés posés volontairement par l’agent (cf. article 4 II) ou, sur décision du chef de service (simple faculté), à raison des arrêts maladie de l’agent (cf. article 5).