Me Morgane Blotin, associée du pôle Gestion locatives et Immobilier, et Gabrièle Gien, juriste au sein du pôle Droit public institutionnel chez Centaure Avocats, ont publié dans Le Courrier des Maires n° 363 du 16 février 2022 une analyse du cadre juridique de l’attribution des logements sociaux dans laquelle elles mettent en garde les élus locaux contre les risques de contentieux devant le juge administratif en la matière. Après avoir rappelé le cadre juridique de la procédure d’attribution des logements sociaux, elles soulignent que l’encadrement de l’attribution vise à mettre en œuvre le droit au logement et la mixité sociale avant de rappeler le rôle respectif des collectivités territoriales et des bailleurs sociaux et de tirer les enseignements de ce contentieux.
Extraits
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Les intercommunalités, chefs de file de la politique locale des attributions
Différents acteurs, publics comme privés, sont susceptibles d’intervenir dans cette politique d’attribution des logements sociaux, comme le prévoit l’article L. 441-1 du code de la construction et de l’habitation. Il s’agit des collectivités territoriales, telles que les villes, mais aussi les bailleurs sociaux, chargés d’attribuer les logements sociaux en fonction des critères préalablement décrits.
Plus précisément, l’article L. 441-2 du même code dispose qu’une commission d’attribution des logements est créée dans chaque organisme d’habitations à loyer modéré. Cette commission est composée de six représentants de l’organisme d’habitations à loyer modéré, du maire de la commune où sont implantés les logements attribués, du représentant de l’Etat dans le département et enfin du président de l’établissement public de coopération intercommunale s’il a la compétence en matière d’habitat ou du président du conseil de territoire de l’établissement public territorial de la métropole du Grand Paris si les logements sont situés sur ce territoire. Il est à noter qu’en cas d’égalité des voix, le maire dispose d’une voix prépondérante.
A ces membres de droit s’ajoutent des membres à voix consultative, tels que les maires d’arrondissement des communes de Paris, Marseille et Lyon pour les logements situés dans les arrondissements où ils sont territorialement compétents, ainsi que les réservataires non membres de droit pour les logements relevant de leur contingent.
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Le rôle respectif des collectivités territoriales et des bailleurs sociaux
Le cadre juridique le montre : les bailleurs sociaux présents au sein des commissions d’attribution des logements sociaux sont extrêmement dépendants des collectivités territoriales qui y participent, du fait même de la présence des logements sociaux sur leur territoire.
Cette proximité entre collectivités et organismes HLM s’explique d’abord par les liens financiers entretenus, notamment à travers l’octroi d’aides locales par les collectivités. L’association des communes et EPCI à la politique d’attribution des logements sociaux s’inscrit dans ce cadre.
Au total, les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent majoritairement être impliqués dans la politique d’attribution des logements sociaux à deux titres. D’abord, en tant que collectivités de rattachement et financeurs des organismes publics HLM mais aussi en tant que territoires d’implantation des logements sociaux.
Ainsi, les collectivités d’implantation des logements sociaux participent à la politique d’attribution des logements sociaux dans la mesure où elles doivent gérer leur territoire dans une dimension aussi bien politique, économique que sociale.
A ce titre, il faut néanmoins souligner que les organismes HLM doivent avant tout être au service de la politique nationale de logement social et non pas au service des collectivités territoriales de rattachement. L’objectif est donc de collaborer avec les élus locaux tout en préservant une certaine indépendance (ANCOLS, Rapport public annuel de contrôle – Année 2020 , décembre 2021, p. 18).
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Les enseignements du contentieux : une application stricte des règles par le juge administratif
En pratique, le contentieux naît lorsque la demande de logement social est refusée par la commission d’attribution. Les deux parties au procès deviennent le demandeur au logement et l’organisme HLM ayant refusé de lui attribuer le logement, mais jamais la collectivité territoriale participant à la commission d’attribution.
Dans ce cadre, le Tribunal des conflits a jugé dans un arrêt n°4048 rendu le 9 mai 2016, que bien que le contrat liant un bailleur social à un locataire soit de droit privé, la décision de refus d’attribuer un logement ne porte pas sur l’exécution dudit contrat, mais bien sur son attribution. Autrement dit, cette décision prise dans le cadre de l’exécution d’un service public défini par les articles L. 441-1 et suivants du code de la construction et de l’habitation relève de la compétence du juge administratif.
Le tribunal administratif statue ici en premier et dernier ressort et son jugement est donc susceptible de pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat. Le nombre d’affaires portées devant le Conseil d’Etat a diminué ces dernières années, passant de 271 affaires enregistrées en 2016 contre 196 en 2020 selon le dernier rapport du Conseil d’Etat de 2021 publié sur son activité 2020. Toutefois, le contentieux de première instance dit « contentieux CALEOL » du nom de la Commission d’attribution, demeure massif.
L’office du juge en la matière s’inscrit dans l’application stricte des conditions posées aux articles L. 441-1 et L. 442-12 du code de la construction et de l’habitation :
- Appréciation du patrimoine et du niveau de ressources du demandeur de logement, et de toute personne vivant dans son foyer, à la date d’examen de la demande d’attribution du logement ;
- Appréciation des conditions de logement actuelles du ménage, de l’éloignement des lieux de travail et de la mobilité géographique liée à l’emploi et de la proximité des équipements répondant aux besoins du demandeur.
Le tribunal administratif veille notamment dans l’application de ce cadre juridique à ne pas imposer trop de sujétions au demandeur de logement dès lors qu’il produit des pièces suffisantes pour justifier de son niveau de ressources et celles de son foyer. Il est soucieux également de la rectitude du calcul du montant des aides au logement.
Au-delà de ces standards de jurisprudence, deux décisions du Conseil d’Etat rendues en 2021 méritent une attention particulière s’agissant non plus du contentieux « CALEOL » proprement dit mais du risque indemnitaire pesant sur les bailleurs sociaux en cas non-respect des règles attribution des logements sociaux (refus illégal ou attribution irrégulière).
Pas d’indemnisation du candidat évincé au logement social en cas de décision de refus illégale pour vice de forme
Dans une décision du 14 juin 2021, n° 432549, le Conseil d’Etat a considéré que lorsqu’une personne sollicite le versement d’une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l’illégalité d’une décision administrative entachée d’un vice de forme, il appartient au juge administratif de rechercher, en forgeant sa conviction au vu de l’ensemble des éléments produits par les parties, si la même décision aurait pu légalement être prise. Si tel est le cas, le préjudice allégué ne peut alors être regardé comme trouvant sa cause directe dans le vice de forme entachant la décision administrative illégale.
En l’occurrence, le juge du fond avait constaté que l’Office public aurait légalement pu prendre la même décision de refus d’attribution d’un logement social à la requérante, du fait d’une inadéquation entre ses ressources et le loyer. De ce fait, il a porté sur les pièces du dossier qui lui étaient soumises « une appréciation exempte de dénaturation ». Ainsi, quand le rejet d’attribution d’un logement social est illégal dans sa forme mais aurait pu légitimement être décidé sur le fond, aucune indemnisation n’est due au requérant.
Sanction possible d’un OPH pour non respect des règles d’attribution[1]
La commission d’attribution des logements de l’OPH du Territoire de Belfort avait, au cours des années 2012 à 2016, attribué irrégulièrement 30 logements sociaux, dont 29 en raison d’un dépassement du plafond de ressources et le dernier, alors que le dossier de demande ne permettait pas de s’assurer des ressources du demandeur.
Le Conseil d’Etat, dans sa décision du 16 juin 2021, n° 435315, rappelle que la gravité de la faute commise par l’OPH doit s’apprécier au regard, notamment « des objectifs fixés par les articles L. 441 et L. 441-1 du code de la construction et de l’habitation ».
En l’occurrence, les attributions irrégulières représentaient moins de 1% des attributions effectuées au cours des cinq années et correspondaient à des dépassements modestes. Le Conseil d’Etat décide donc de ramener la sanction pécuniaire infligée à l’OPH à la somme de 60 000 euros (contre les 96 320 euros initialement infligés par les ministres responsables).
L’article a été publié ici.