Par une décision n°2020-887 QPC du 5 mars 2021, le Conseil constitutionnel a jugé que l’article L.145-14 du Code de commerce, qui prévoit que lorsqu’un bailleur ne souhaite pas renouveler un bail commercial, il doit, sauf motif légitime, verser une indemnité d’éviction au preneur, est conforme à la constitution (plus précisément s’agissant des termes « comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession »).
Dans cette affaire, le bailleur (exploitant d’un hôtel parisien) avait, par un courrier daté du 5 septembre 2016, notifié au preneur son refus de renouveler le bail commercial et, en vertu de l’article L.145-14 du Code de commerce, proposé au preneur le versement d’une indemnité d’éviction. Afin de fixer le montant cette indemnité, une expertise judiciaire avait été diligentée. A la suite de cette celle-ci, le preneur avait assigné le bailleur devant le Tribunal judiciaire.
Dans le cadre de cette procédure, le bailleur a soulevé devant le Tribunal judiciaire une question prioritaire de constitutionnalité. Selon lui, les modalités de détermination de l’indemnité d’éviction prévues à l’alinéa 2 de l’article L.145-14 du Code de commerce peuvent entrainer le paiement d’un montant disproportionné. En conséquence, cette disposition porterait atteinte au droit de propriété du bailleur, à liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle. De surcroît, cette disposition engendrerait une différence de traitement contraire au principe d’égalité devant la loi.
Cette question a été transmise à troisième chambre de la Cour de cassation qui, par un arrêt du 10 décembre 2020, a jugé la question sérieuse et a transmis la QPC au Conseil constitutionnel en cette forme :
« L’article L. 145-14 du code de commerce est-il conforme à la Constitution et au bloc de constitutionnalité, précisément au droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, à la liberté contractuelle garantie par l’article 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, à la liberté d’entreprendre protégée par l’article 4 du Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, au principe d’égalité garanti par l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 et les articles 1 et 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, et respecte-t-il la compétence réservée à la loi par la Constitution de 1958 ? »
Saisi de cette question, le Juge constitutionnel reconnait une atteinte au droit de propriété dans la mesure où cette disposition restreint le droit du bailleur de disposer librement de son bien à l’expiration du bail. Néanmoins il est également précisé que cette atteinte est justifiée par un objectif d’intérêt général qui est la viabilité des entreprises commerciales et artisanales.
De plus, il précise que l’indemnité d’éviction est égale au préjudice que cause au preneur le non renouvellement de son bail. Par conséquent, elle ne peut être disproportionnée puisqu’elle ne comprend que la valeur marchande du fonds de commerce perdu par le preneur.
De surcroit, le législateur a prévu un autre garde-fou dans la mesure où l’indemnité d’éviction n’est due que lorsque le preneur a exploité le fond durant les trois années ayant précédé l’expiration du bail et dans les conditions conformes au bail. En outre, le bailleur a également la faculté de vendre ou de conserver son bien afin de le proposer à la location.
Ainsi, la violation du principe de propriété est écartée.
Concernant la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi, le Juge constitutionnel considère que, dans la mesure où l’indemnité est déterminée en fonction des usages de la profession, il ne peut y avoir une différence de traitement. Qu’au surplus, les bailleurs et les preneurs sont placés dans des situations différentes. Par conséquent, il écarte également la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi.
Dès lors, en répondant par la négative à cette QPC, le Conseil constitutionnel consolide les modalités de calcul de l’indemnité d’éviction et rejette l’idée même d’un plafonnement de ladite indemnité.
Cette décision tend à consolider les droits du preneur au dépriment du droit de propriété des bailleurs.
A l’aune de cette jurisprudence, il est nécessaire pour un bailleur, avant d’opposer un refus de renouvellement avec offre d’une indemnité d’éviction, d’en réaliser une estimation.