Pierre-Yves Nauleau a apporté son éclairage d’avocat à Achat Public Info sur une décision du Conseil d’Etat.
Article d’Achat Public Info du 31 octobre 2019
La rédaction confuse d’une clause d’une concession de service délimitant le périmètre des variantes est à l’origine du contentieux opposant la société Les Téléskis (un candidat évincé) à la commune de Manigod (l’autorité concédante). Le verdict qui en découle pousse à la réflexion au regard du code de la commande publique.
« Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement ». Citation de Nicolas Boileau, écrivain français du XVIIe siècle, qui caractérise parfaitement l’affaire « Société Les Téléskis c/ Commune de Manigod », récemment jugée par le Conseil d’Etat. L’origine du litige résulte de la rédaction approximative des clauses sur les variantes qui, en l’occurrence, a donné lieu à différentes interprétations de la part des protagonistes. En l’espèce, l’entreprise conteste devant le juge du contrat l’attribution, en juin 2012, de la délégation de service public (DSP) relative à la gestion et l’exploitation du domaine skiable de la ville sur le secteur Merdassier et sur celui de la Croix Fry. Selon elle, la solution alternative du titulaire, retenue après négociation, porterait sur le programme de base.
Périmètre de la variante contestable
La disposition du cahier des charges qui limiterait le périmètre des variantes est la suivante : «les candidats proposeront, en plus des investissements de renouvellement, les investissements nouveaux ou toute autre proposition visant à contribuer au développement de la station, avec la réalisation a minima de deux télésièges et d’une retenue collinaire permettant l’installation d’un réseau de neige de culture sur le secteur Croix de Fry ». L’offre sélectionnée prévoit justement de substituer à la retenue un raccordement au réseau de neige de culture du secteur Merdassier en vue d’assurer l’enneigement artificiel du versant de Croix Fry. Pour la commune, le périmètre de la variante est conforme au document de la concession. D’autant que « la notion de « retenue collinaire » prévue dans le programme de base ne recouvre pas exclusivement celle de retenue d’altitude et peut s’entendre de tout dispositif technique permettant de développer la neige de culture », affirme la collectivité dans ses moyens. Mais le juge du fond ne l’entend pas de cette oreille, puisque le terme « retenue collinaire » est une « expression dénuée de toute ambiguïté ». De surcroît, la solution présentée n’est pas un simple aménagement technique de la retenue d’eau : elle permet d’éviter la construction d’un ouvrage s’avérant être un équipement obligatoire à la lecture de l’article du cahier des charges.
Décision à l’appui de la jurisprudence « Dalkia France »
Il découle de la jurisprudence « Dalkia France » (et avant, de l’arrêt « Syndicat intercommunal de la Côte d’Amour et de la presqu’ile Guerandaise »), la règle suivante : « au cours de la consultation [l’autorité concédante] peut apporter des adaptations à l’objet du contrat qu’elle envisage de conclure au terme de la négociation lorsque ces adaptations sont d’une portée limitée, justifiées par l’intérêt du service et qu’elles ne présentent pas, entre les entreprises concurrentes, un caractère discriminatoire » (CE, 21 février 2014, req. n° 373159 – CE, 21 juin 2000, req. n° 209319). Dans l’affaire commentée, les juridictions du premier et du second degré admettent néanmoins la modification de la délégation dans ce sens, à savoir : la possibilité pour un opérateur de soumettre une solution dont l’objet est d’assurer un enneigement artificiel du versant Croix Fry sans création d’une retenue collinaire.
En contrepartie, la commune devait informer l’ensemble des candidats invités à négocier de cette faculté afin qu’ils puissent adapter leurs offres à ces nouvelles conditions ou tout du moins présenter « un argumentaire technique et économique à l’appui du choix de maintenir le programme initial d’équipement », précise la Cour administrative d’appel de Lyon. Or, la collectivité s’est abstenue de communiquer sur ce point. Le principe d’égalité est alors rompu, considère la juridiction. Elle accorde donc une indemnisation de 150 000 euros à la société évincée, au titre du remboursement des frais engagés lors de la passation. Le Conseil d’Etat suit les magistrats lyonnais.
Portée de la décision au regard du code de la commande publique
Sous l’ère du code de la commande publique (CCP), la portée de cette décision est-elle encore valable ? En effet, en vertu de l’article L. 3124-1 : « la négociation ne peut porter sur l’objet de la concession, les critères d’attribution ou les conditions et caractéristiques minimales indiquées dans les documents de la consultation ». D’après Maître Pierre-Yves Nauleau (Claisse & Associés), avocat tiers à l’affaire, la réglementation s’est rigidifiée sur ce sujet. « L’autorité concédante ne peut revoir les exigences minimales durant cette phase, même si elle en informe les opérateurs admis à négocier », prévient l’avocat. « Seules les propositions des candidats venant en complément des caractéristiques minimales du besoin initialement défini par l’autorité concédante, et non en substitution à celui-ci, peuvent être acceptées. Au même titre que dans le cadre des marchés publics, l’objectif est de pouvoir analyser des offres comparables. En matière concessive, cette comparaison sera d’autant plus cruciale qu’elle va notamment porter sur le montant des investissements à réaliser et leur amortissement, lesquels déterminent la durée de la convention », poursuit-il.
Depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016, le pouvoir adjudicateur doit être clair et précis dans l’expression de ses besoins. « L’idée recherchée à travers cette condition d’intangibilité est aussi de garantir la transparence et la liberté d’accès à la commande publique », souligne Pierre-Yves Nauleau. Autrement dit, la modification envisagée ne doit pas avoir pour effet d’introduire des conditions qui, si elles avaient été incluses dans la procédure de passation initiale auraient attiré davantage et/ou permis l’admission d’autres opérateurs économiques, ou bien auraient débouché sur le choix d’une offre autre que celle retenue.