A la suite d’une erreur de l’Administration fiscale dans l’application d’une disposition du code général des impôts, Monsieur Krupa a demandé la condamnation de l’Etat à lui verser la somme de 20 millions de francs en réparation du préjudice subi.
Le Tribunal administratif de Strasbourg puis la Cour administrative d’appel de Nancy ayant rejeté sa requête, Monsieur Krupa s’est pourvu en cassation.
Ce pourvoi a permis au Conseil d’Etat de réformer le régime de responsabilité de l’Administration pour les fautes commises lors des procédures d’établissement et de recouvrement de l’impôt.
Ainsi que l’a relevé le rapporteur public Claire Legras dans ses conclusions sur cette affaire (RFDA 2011 p. 340), « la matière fiscale est un domaine dans lequel le principe de responsabilité fut clairement plus long à s’imposer que dans d’autres ».
En effet, partant du principe de l’irresponsabilité de l’Etat, la jurisprudence a ensuite requis l’existence d’une faute « d’une exceptionnelle gravité » avant de consacrer un régime de responsabilité pour faute lourde. Les décisions Bourgeois (CE, Section, 17 juillet 1990, req. n°44676) et Commune d’Arcueil (CE, Section, 29 décembre 1997, req. n°151472) parachèvent alors l’évolution : dans le cadre des opérations d’établissement et de recouvrement de l’impôt, seule une faute lourde est de nature, en principe, à engager la responsabilité de l’Administration. Par exception, en l’absence d’une difficulté particulière, la faute simple peut être retenue.
La justification du maintien de la faute lourde résidait dans la complexité des opérations fiscales. A l’instar d’autres activités difficiles qui ont basculé, ces deux dernières décennies, dans le régime de la faute simple, le Conseil d’Etat, dans la décision commentée, abandonne le régime de la faute lourde pour l’activité des services fiscaux.
Ce faisant, la Haute juridiction censure la Cour administrative d’appel pour erreur de droit et développe un véritable mode d’emploi de la responsabilité de l’Administration dans les procédures fiscales :
« Considérant qu’une faute commise par l’administration lors de l’exécution d’opérations se rattachant aux procédures d’établissement et de recouvrement de l’impôt est de nature à engager la responsabilité de l’Etat à l’égard du contribuable ou de toute autre personne si elle leur a directement causé un préjudice ; qu’un tel préjudice, qui ne saurait résulter du seul paiement de l’impôt, peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l’administration et, le cas échéant, des troubles dans ses conditions d’existence dont le contribuable justifie ; que le préjudice invoqué ne trouve pas sa cause directe et certaine dans la faute de l’administration si celle-ci établit soit qu’elle aurait pris la même décision d’imposition si elle avait respecté les formalités prescrites ou fait reposer son appréciation sur des éléments qu’elle avait omis de prendre en compte, soit qu’une autre base légale que celle initialement retenue justifie l’imposition ; qu’enfin l’administration peut invoquer le fait du contribuable ou, s’il n’est pas le contribuable, du demandeur d’indemnité comme cause d’atténuation ou d’exonération de sa responsabilité »
Désormais, toute faute de l’Administration fiscale est de nature à engager la responsabilité de l’Etat. Le préjudice peut être constitué par les conséquences matérielles de la décision illégale mais aussi par les troubles dans les conditions d’existence, qui sont caractérisés, en l’espèce, par la vente des biens du requérant, dont son habitation principale, et l’atteinte à sa réputation. S’agissant du lien de causalité et des causes d’exonération, le Conseil d’Etat reprend sa jurisprudence classique en matière de responsabilité : l’Administration n’est pas responsable si elle aurait pris la même décision en respectant les formalités ou en se fondant sur une autre base légale et le fait du contribuable peut constituer une cause d’atténuation ou d’exonération de sa responsabilité.
Dans ses conclusions, le rapporteur public relevait que « la faute lourde conserve trois bastions » : une partie du contentieux du service public de la justice administrative, les activités de tutelle et les activités des services fiscaux. Après l’évolution du 21 mars 2011, on ne peut que s’interroger sur la survivance des deux derniers bastions…
Conseil d’Etat, Section, 21 mars 2011, Monsieur Krupa, n°306225