L’arrêt rendu par la Section du contentieux du Conseil d’Etat le 7 mai 2010, aux conclusions contraires du rapporteur public Bertrand Dacosta, apporte une réponse négative à la question de savoir si la protection fonctionnelle dont bénéficient les agents publics peut être utilement invoquée par les assureurs de ces derniers lorsqu’ils les ont indemnisé d’un dommage subi dans l’exercice de leurs fonctions.
Le régime de protection des agents publics à raison des attaques et des menaces dont ils peuvent être l’objet à l’occasion de leurs fonctions figure aujourd’hui, pour les fonctionnaires civils, à l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983, pour les militaires, à l’article 24 de la loi du 13 juillet 1972 désormais codifié à l’article L. 4123-10 du code de la défense et, pour les magistrats, à l’article 11 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.
Le premier alinéa de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 pose ainsi le principe que : « Les fonctionnaires bénéficient, à l’occasion de leurs fonctions, d’une protection organisée par la collectivité publique dont ils dépendent, conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales ». Ce principe de garantie a par ailleurs été reconnu comme un principe général du droit applicable même sans texte (v. not., CE sect. 3 déc. 1948, Commune de Berre-l’Etang, Lebon 457) et s’applique également aux agents non titulaires (CE sect. 26 avr. 1963, Centre hospitalier de Besançon, req. n° 42783, Lebon 243, concl. Chardeau, ou encore CE ass. 16 oct. 1970, Epoux Martin, req. n° 72409, concl. G. Braibant).
Dans cette affaire, un officier de gendarmerie (le général Philippot) dont la résidence secondaire en Corse avait été plastiquée à plusieurs reprises en raison des fonctions qu’il avait exercées sur l’île, avait été partiellement indemnisé par sa compagnie d’assurances (les AGF) sur le fondement d’une police qu’il avait souscrite, à hauteur environ de la moitié du préjudice matériel subi. L’administration avait, de son côté, également versé une indemnité complémentaire au titre de la protection statutaire prévue à l’article 24 de la loi du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires. Les AGF s’estimant subrogés dans les droits de leur assuré s’étaient ensuite retournés contre l’Etat dans le cadre d’un recours subrogataire. Le ministre de la défense avait rejeté la demande.
Pour rejeter le recours des AGF, la Section du Contentieux du Conseil d’Etat juge « que les dispositions de l’article 24 de la loi du 13 juillet 1972, en vertu desquelles l’Etat est tenu de protéger les militaires contre les menaces et les attaques dont ils peuvent être l’objet à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté, sont relatives à un droit statutaire à protection qui découle des liens particuliers qui unissent l’Etat à ses agents, et n’ont pas pour objet d’instituer un régime de responsabilité de l’Etat à l’égard du militaire ; qu’une telle garantie, qui ouvre droit au militaire à une réparation du préjudice subi, dont il incombe à l’administration de définir, sous le contrôle du juge, les modalités adéquates, n’a pas vocation à se substituer à celles offertes par les assureurs moyennant paiement d’une cotisation notamment au titre des assurances obligatoires ; que sa mise en oeuvre ne peut être demandée que par le militaire lui-même, dans le cadre de sa relation statutaire avec l’Etat ; qu’il en résulte que ce régime de protection n’est pas au nombre de ceux susceptibles de permettre à l’assureur des personnes ou des biens éventuellement atteints dans le cadre d’un sinistre de cette nature d’être subrogé dans les droits et actions du militaire sur le fondement de l’article L. 121-12 du code des assurances ».
Ce faisant la Haute Assemblée affirme la spécificité du régime de la protection fonctionnelle en en faisant une garantie statutaire distincte du champ de la responsabilité assumée, parfois sans faute, par les collectivités publiques à l’égard de tous ceux (agents publics ou collaborateurs occasionnels) qui participent à une mission de service public.