L’Assemblée du Conseil d’Etat a rendu une décision importante concernant la compétence et le contrôle du juge administratif sur une sentence arbitrale rendue dans le cadre d’un contrat administratif mettant en jeu des intérêts de commerce international, conclu entre une personne morale de droit public français (initialement) et (notamment) une entreprise étrangère, exécuté sur le territoire français.
Plus précisément, Gaz de France, alors établissement public industriel et commercial, avait conclu un contrat dont l’objet était la construction d’un terminal méthanier, avec un groupement momentané d’entreprises solidaires. Par avenant, Gaz de France, devenu une entreprise commerciale, avait rétroactivement cédé le contrat à une filiale, tandis qu’une entreprise italienne s’était substituée à l’un des cotraitants. Une clause compromissoire avait été introduite par la suite.
La question de la compétence avait été préalablement réglée, sur demande du Conseil d’Etat, par le Tribunal des Conflits dans une décision du 11 avril 2016, n°C4043, publiée au Lebon. Cette décision est, classiquement, motivée par trois circonstances : d’une part, le contrat, initialement conclu par Gaz de France, était un contrat de droit public, puisqu’il avait pour but de satisfaire aux obligations de service public de cet établissement et pour objet des travaux immobiliers réalisés dans un but d’intérêt général (CE, 10 juin 1921, commune de Monségur, n°45681, Rec). D’autre part, la nature du contrat ne change pas, en principe, en cours d’exécution (TC, 16 octobre 2006, CCR, n°C3506, Rec ; TC, 9 mars 2015, Mme R c/ ASF, n°C3984, Rec). Le Tribunal fait donc fi de la substitution, par avenant rétroactif, d’une personne privée à la personne publique initialement contractante. Enfin, le contrôle sur la sentence implique celui de sa conformité aux règles impératives de la commande publique, donc à un régime administratif d’ordre public (TC, 17 mai 2010, INSERM, n°C3754, Rec ; CE, 19 avril 2013, Syndicat mixte des aéroports de Charente, n°352750, Rec).
Le Conseil d’Etat considère toutefois que la question de la compétence nécessite des développements supplémentaires : il ajoute que le contrat relève de la compétence du juge administratif y compris lorsque le recours à l’arbitrage est fondé sur l’article 90 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, le renvoi opéré dans cet article aux dispositions du livre IV du code de procédure civile ne pouvant « s’entendre, s’agissant de dispositions réglementaires, comme emportant dérogation aux principes régissant la répartition des compétences entre les ordres de juridiction en ce qui concerne les voies de recours contre une sentence arbitrale ». En effet, l’ordonnance du 23 juillet 2015 est actuellement en cours de ratification. Quid, cependant, lorsque cette ratification sera intervenue ?
Le contrôle du juge sur une telle sentence porte sur les points suivants :
- La licéité de la convention d’arbitrage ;
- La régularité de la procédure suivie : a minima, la compétence du tribunal arbitral, sa composition, ainsi que le respect de la mission confiée, du principe du contradictoire et de l’obligation de motivation.
Quant au fond, ce contrôle consiste à vérifier que la sentence n’est pas contraire à l’ordre public :
- Soit parce qu’elle fait application d’un contrat illicite ou entaché d’un vice d’une particulière gravité – on retrouve là les motifs de la décision dite Béziers I – et qu’elle méconnait les règles auxquelles les personnes publiques ne peuvent déroger – on retrouve, là encore, les interdictions classiques de consentir des libéralités, d’aliéner le domaine public ou de renoncer aux prérogatives dont disposent ces personnes dans l’intérêt général au cours de l’exécution du contrat ;
- Soit les règles d’ordre public du droit de l’Union européenne.
La Haute juridiction expose ensuite quel est son office face à l’illégalité de la sentence, celui-ci étant variable suivant le vice mis à jour. Dans le cas où c’est le recours même à l’arbitrage qui était irrégulier, le Conseil d’Etat a le choix : soit il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif compétent, soit il tranche lui-même le litige par la voie de l’évocation. Dans le cas où ce recours était possible et qu’il annule totalement ou partiellement la sentence, il ne peut lui-même statuer sur l’affaire que dans deux hypothèses : lorsque la convention d’arbitrage l’a prévu ou lorsqu’il est invité par les deux parties à le faire. A défaut, il incombe aux parties de saisir un nouveau tribunal arbitral, ou de s’accorder pour saisir le tribunal administratif compétent.
Le Conseil d’Etat précise que le contrôle détaillé ci-dessus s’applique également lorsque c’est l’exequatur de la sentence qui est sollicitée, que celle-ci ait été rendue en France ou à l’étranger.
En l’espèce, tous les moyens tirés de la régularité de la procédure sont écartés. En revanche, le Conseil d’Etat accueille l’un des moyens soulevés au fond et tiré de la méconnaissance de la règle d’ordre public suivant laquelle, même dans le silence du contrat, le maître d’ouvrage peut faire procéder aux travaux publics objet du contrat aux frais et risques de son cocontractant, étant précisé que cette possibilité peut aussi bien se traduire par une mise en régie que par une résiliation. En revanche, les règles en matière de droit à indemnisation du titulaire d’un marché à forfait ne sont pas « par elles-mêmes » d’ordre public. L’appréciation du tribunal arbitral suivant laquelle l’économie du contrat a été bouleversée n’est donc pas remise en cause.
En conséquence, le Conseil d’Etat invite le maître d’ouvrage à saisir un tribunal arbitral pour qu’il statue sur la question des travaux réalisés aux frais et risques du groupement titulaire du contrat, à moins que les parties ne s’accordent pour soumettre ce litige au tribunal administratif compétent.