Offre irrégulière à cause de délais de livraison… trop rapides

Axel Glock | | 12 mars 2021
5 minutes de lecture

Tout est toujours une question de temps !

Maître Nicolas Ferré obtient du juge que l’offre soit déclarée irrégulière à cause d’un délai de livraison trop rapide.

Achatpublic.info a interviewé Me Nicolas Ferré, avocat associé chez Claisse & Associés, à ce sujet :

Une offre déclarée irrégulière au motif qu’elle proposait des délais de livraison de fournitures…  trop rapides ! Voici une affaire bien surprenante, à contre-courant, le moins que l’on puisse dire, de l’actualité, à l’heure où la lenteur des arrivages des vaccins contre la Covid-19 ne cesse d’être critiquée. Mais l’objet du présent litige porte d’abord sur une divergence d’interprétation des dispositions du marché, qui aurait conduit le soumissionnaire à ne pas pouvoir déceler aisément cette exigence…

Une durée de livraison d’une offre excédant celui du cahier des charges la rend irrégulière. A l’instar d’un délai proposé par un soumissionnaire qui serait, cette fois-ci, inférieur à celui requis par l’acheteur. C’est l’affaire qu’a dû jugé le tribunal administratif (TA) de Montreuil. En l’espèce, la commune d’Aulnay-sous-Bois lance un appel d’offres relatif à la fourniture et livraison de produits et petits matériels d’entretien, d’hygiène et de sécurité, et de conditionnement alimentaire. La collectivité écarte une offre au motif qu’elle comprend un délai de livraison de 48 heures alors que les documents du marché exigeaient un laps de temps a minima de cinq jours, et au maximum de dix jours ouvrés. L’entreprise conteste. Selon elle, les pièces communiquées comporteraient des indications contradictoires à ce sujet, qui ne lui auraient pas permis de déceler aisément cette condition.

Interprétation des clauses au travers des documents du DCE

Il ressort de l’article 5.2 du règlement de la consultation (RC) que « le délai d’exécution proposé par le soumissionnaire […] ne doit ni être inférieur à cinq (5) jours ni supérieur à dix (10) jours. Si le soumissionnaire ne propose aucun délai, le délai maximum sera appliqué ». Mais d’autres dispositions, celles qui sont visées par la société requérante, viennent brouiller cette injonction. Le RC mentionne aussi, ainsi que le cahier des charges que : « Les délais de livraison des fournitures sont ceux fournis par le titulaire à l’appui de son offre dans le bordereau des délais d’exécution […] sans que ces délais ne puissent excéder : – Délais minimums : 5 jours ouvrés ; – Délais maximums : 10 jours ouvrés. (…) ».

Le TA reconnaît effectivement une rédaction maladroite des documents par l’acheteur, notamment avec l’emploi du verbe « excéder ». Pour autant, ils ne sont pas contradictoires, affirme le magistrat. Il précise que ces stipulations devaient être lues en adéquation avec l’article 5.2 du RC. Par conséquent, les délais proposés par le soumissionnaire ne pouvaient être inférieurs à cinq jours ouvrés. La juridiction rejette donc la requête.

Recherche du sens donné par l’acheteur aux clauses litigieuses

D’après Maître Nicolas Ferré (Claisse & Associés), avocat de la commune d’Aulnay-sous-Bois dans cette affaire, l’approche du juge découle d’une lecture globale du dossier de consultation. Et d’une volonté de rechercher la signification qui a été donnée par l’acheteur derrière ces clauses. L’avocat y voit dans son raisonnement une inspiration des préceptes de l’article 1191 du code civil : « Lorsqu’une clause est susceptible de deux sens, celui qui lui confère un effet l’emporte sur celui qui ne lui en fait produire aucun ». Autrement dit, si le TA avait nié le fait que la collectivité exigeait un délai minimal de cinq jours, ces clauses n’auraient eu aucune portée, et cela aurait été contraire à l’esprit du texte législatif, avance le défenseur de la ville. L’avocate de la société requérante, quant à elle, critique le fait que le juge, en admettant une rédaction maladroite (sur une condition d’exécution et un élément de notation des offres), ne soit pas allé au bout de la logique, en reconnaissant un manquement de la collectivité à ses obligations de publicité et de mise en concurrence. Quoi qu’il en soit, elle rappelle la nécessité pour les pouvoirs adjudicateurs de rédiger des clauses qui soient claires et sans ambiguïtés.

Des délais de livraisons trop rapides potentiellement problématiques

A la lecture de l’ordonnance, on reste sur notre faim avec cette question : pourquoi avoir imposé un délai minimal de livraison ? Ce fait a été abordé rapidement à l’audience, explique Me Nicolas Ferré, puisqu’il n’a pas été contesté par la partie adverse. Néanmoins, l’avocat nous éclaire sur les raisons. Elles sont d’abord logistiques : la commune, après avoir fait un bilan de l’exécution de ses précédents marchés, a constaté que des délais trop courts posaient des difficultés sur la réception des fournitures, et les opérations de vérification qui s’en suit, au vu du nombre et de la disponibilité de ses agents. Ensuite, ce choix se justifiait aussi d’un point de vue budgétaire. Me Nicolas Ferré rappelle que la livraison a un coût, et que celui-ci est intégré dans le prix du marché. Et plus les délais sont raccourcis, plus ce coût augmente. En conclusion, la collectivité n’a pas souhaité supporter des dépenses supplémentaires à ce niveau au regard de la prestation demandée.